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jeudi 19 septembre 2013

Frances Farmer, centenaire aujourd'hui


 Je n'ai pas trouvé d'éditeur pour un livre, à l'occasion de cet événement. Honte… Voici du moins mon article "Frances Farmer" in "Dictionnaire des Emmerdeuses". Patrick Gofman

IL ÉTAIT UNE FOIS, dans la pluvieuse Seattle (Etat de Washington, côte Nord-Ouest des Etats-Unis), une vilaine fille, Frances “The Bad Girl of West Seattle” Farmer, née en 1913, et qui se proclamait athée, à 18 ans, dans l’Amérique bigote des années 30 ! Gagnant ainsi un concours de littérature !
Imaginez le nombre d’amis qu’elle a déjà lorsque, quelques années plus tard, en 1935, étudiante en art dramatique, elle remporte un autre concours et gagne un voyage en Russie communiste, ce qui lui vaut automatiquement le grief de bolchévisme… Au retour, elle s’arrête à New York. Quelques semaines plus tard, elle signe pour sept ans avec les studios Paramount et refait sa valise ; pour la Californie ; Hollywood. “La vilaine fille” a 22 ans. Et c’est une radieuse beauté :

Elle remplit d’abord de son mieux son contrat avec “l’usine à rêves”, posant pour des publicités ineptes, épousant un cowboy de cinéma, et surveillant étroitement son poids de corps. Là sans doute est l’égratignure où va s’installer la gangrène. Car les médecins d’avant-guerre distribuent les amphétamines comme des bonbons aux femmes qui veulent maigrir ; sans se soucier des effets secondaires, qui peuvent, selon les individus, s’avérer de graves troubles du comportement, comme ceux, précisément, que va connaître la belle Frances, avec la catalyse de l’alcool et du chagrin…
Mais d’abord elle triomphe à l’écran. Avec la “super-star” Bing Crosby. Puis sous la direction de Howard Hawks, qui en dit : « C’est la plus grande actrice avec laquelle j’aie jamais travaillé. » Elle commence alors à ruer dans les brancards, snobant les mondanités de Hollywood et négligeant son rôle de “glamour girl”. En 1937, elle tient à faire ses preuves sur scène. Elle joue “Golden Boy” à Broadway (New York), noue une liaison passionnée avec l’auteur de la pièce, qui n’est pas moins marié qu’elle et qui rompt. La voici de retour en Californie avec un cœur brisé et des rôles contractuels peu valorisants.
En 1942, les choses tournent vraiment mal. Frances est en instance de divorce, enfoncée dans les amphétamines et la saoulographie, autre sport très répandu à l’époque. Mais il lui réussit moins qu’à d’autres. Son humeur se dégrade. Le 19 octobre 1942, elle conduit pleins phares dans une zone où l’Amérique redoute un débarquement japonais (Spielberg l’a montré dans un film tordant, “1942”, assez mal reçu dans son pays). Elle se prend de bec avec le motard de police qui lui fait des observations. Arrestation, amende, prison avec sursis. Trois mois plus tard, elle frappe une coiffeuse des studios. Arrestation mouvementée à son hôtel. Au flic qui ose lui demander sa profession, elle répond : « Cocksucker. » Un juge l’envoie dans un sanatorium pour acteurs en souffrance.
La mère divorcée de Frances vient la chercher et obtient sa garde. A Seattle, les deux femmes finissent par en venir aux mains, et l’actrice atterrit au Western State Hospital. Elle y moisit jusqu’en 1950 ! La légende veut qu’elle y connaisse un véritable martyre : supplice de la baignoire glacée, viols répétés, promiscuité avec des criminels, nourriture jetée en vrac sur le sol malpropre d’une cellule collective, lobotomie qui en fait un légume. Le personnel de cet hôpital certainement mal tenu nie. Le biographe William Arnold pousse les choses au noir, mais il est suspect de militer contre la psychiatrie officielle avec la Scientologie. Une autre biographe, Jean Ratcliffe, avoue avoir exagéré… Le film “Frances” (1982) en rajoute… Ce qui est hors de doute, c’est que la douche glacée, les chocs électriques et insuliniques sont pratiques courantes à l’époque.
Libérée le 23 mars 1950, l’actrice brisée devient d’abord blanchisseuse à Seattle, puis secrétaire d’un photographe d’Eureka (Californie) et ensuite dans un hôtel de San Francisco. Elle se remarie brièvement en 1954 puis 1958.
C’est alors que les télévisions nationales l’invitent pour l’asticoter au sujet de son alcoolisme et de ses problèmes de comportement. C’est peut-être ce qui lui inspire l’idée de devenir animatrice du petit écran. “Frances Farmer Presents” fait les beaux jours (six fois par semaine) des cinéphiles d’Indianapolis de 1958 à 1964.
L’athée provocante de 1931 a fini ses jours dans la religion catholique. Mais elle n’a jamais renoncé à la vodka, à la bière ni aux cigarettes Kent, et elle meurt d’un cancer de l’œsophage en 1970. Elle a 56 ans. Sa beauté, son caractère, son talent, ses souffrances ne peuvent être oubliés. Son poème “The Journey” demeure.
  

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